Un petit chapitre d'une oeuvre en construction

Publié le par Khandjarette

       La veille encore, j’étais quelqu’un d’autre, et voilà qu’une simple caisse en carton remplie de fétiches et de souvenirs changeait jusqu’au cours de ma vie.

C’est absolument extraordinaire de penser qu’un geste anodin, celui de jeter cette caisse sans considérer son contenu, aurait donné à mon existence un tout autre sens, une tout autre trajectoire. Aussi incroyable que cela puisse paraître, je dois ma réussite et mon bonheur à une caisse en carton ou plus précisément à ce que j’y retrouvai.

   Je ne peux expliquer avec précision ce qui m’avait incité, alors que je n’étais pas un adepte du rangement, à rouvrir ce placard et à en redécouvrir le contenu. C’est avec un sourire amusé que je revis ma collection de timbres et mes pulls usés ainsi que beaucoup d’objets auxquels se rattachait une partie de ma vie, la plus compliquée.

 Dans ce bric-à-brac hétéroclite se trouvait une reliure rouge dont la seule vue fit bondir mon cœur en m’émouvant au plus haut point. C’était mon journal d’adolescent, celui que je tins de quatorze à seize ans. Je touchai délicatement la couverture poussiéreuse en songeant aux mots, aux sentiments, aux événements qu’avait recueilli ce carnet, de ma main, quatre ans auparavant.

   Ma vie d’universitaire zélé m’avait tellement absorbé que j’avais presque oublié l’existence de ce journal, il faut dire qu’à l’époque je le cachais soigneusement à mon entourage et particulièrement à mes copains qui n’auraient pas manqué de me ridiculiser. La pratique diariste était une activité de filles. Avec du recul, je pense qu’en dehors de leurs airs de mâles boutonneux soucieux de leur virilité naissante, tous les adolescents éprouvent, ne serait-ce qu’une fois dans leur vie, le besoin de jeter des mots sur du papier. L’écriture est le mode d’expression le plus cathartique à un moment de la vie où les angoisses sont multiples et où la tendance est à l’introversion. Et adolescents, on est sujets à toutes les angoisses du monde, même les plus insoupçonnées.

  Bref, lorsque j’eus mon journal d’adolescent entre les mains, une forte émotion, teintée inexplicablement de frayeur, s’empara de moi. Si je fus amusé de retrouver mes confidences de gamin, brusquement je les redoutai et je dois reconnaître que c’était à juste titre.

  Dés les premières pages que je lus, je sus que je ne serai plus jamais le même, je n’étais déjà plus le même individu, l’auteur de ce carnet auquel je ne m’identifiai pas. Avez-vous jamais ressenti ce terrifiant dédoublement qui vous frappe lorsque subitement vous relisez des lettres ou quelques écrits dont vous aviez, un jour, été l’auteur ? Pour ma part, l’expérience a été foudroyante.

 A partir du moment où je commençai à relire mon journal, il y eut deux personnes nettement distinctes : celle qui tenait le journal entre les mains et celle qui l’avait rédigé quelques années auparavant. La première était un jeune adulte content de son sort et croyant l’avoir choisi, la deuxième personne était un adolescent docilement soumis, obéissant et dont l’unique souci était de maintenir l’image du fils parfait sans jamais décevoir un père abusif.
 
  Si l’écriture était bien la mienne, je fus dégoûté de ces propos, ces mots écrits par un autre moi que je refusai de reconnaître. Relire mes pensées d’adolescent m’avait ouvert les yeux sur une affreuse réalité : je me rendis compte que je n’avais jamais été moi-même mais l’être qu’avait façonné, à son gré, un autre homme, mon procréateur.

   Le hasard qui m’avait amené à retrouver mon journal, avait ainsi provoqué l’ouverture d’une trappe savamment fermée qui me séparait d’un passé proche dont le concerné était l’enfant effacé que je fus et que je retrouvai à l’âge de vingt ans.

  Des souvenirs, que soudain je perçus différemment, affluèrent dans mon esprit et je fus littéralement horrifié par le portrait que renvoyait mon journal de cet adolescent en lequel je ne me reconnus pas.

  Au fur et à mesure de ma lecture, une autre personne naissait en moi jusqu’à me submerger complètement. Lorsque je refermai mon journal j’étais transformé et toute mon existence dût, par un juste retour des choses, se plier à cette transformation. 





Publié dans Fiction

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M
Je me suis toujours demandé si l'inverse ne produirait pas le même effet. Je m'explique, l'adolescente que tu étais n'aurait-elle pas été effrayée par l'adulte que tu es devenue ?
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K
<br /> Adolescente? T'es sûr que t'as bien lu là? Il s'agit d'un adolescenT lol et c'est publié sous la catégorie Fiction et non Autofiction!<br /> <br /> <br />