Si vieillesse pouvait

Publié le par Khandjarette

Je marchais la tête ailleurs noyée dans mes soucis comme d’habitude.

Si seulement on pouvait matérialiser les pensées. On serait sûrement horrifiés, terrorisés. Un télescopage d’idées hétéroclites qui se superposent les unes aux autres. Un ensemble de sentiments, d’émotions, de personnes, de décisions, d’âneries, …, c’est ça nos pensées. Mais c’est avant tout des mots, un réservoir de mots.

Je marchais donc en cogitant sans voir les passants que je croisais sur Alger, je ne prêtais attention à rien et à personne. Plongée dans mes angoisses je filais droit sur le trottoir quand sur ma droite une petite masse humaine assise à même le sol attira mon attention. La démarche rapide, j’eus toutefois le temps de voir que c’était une femme âgée, ridée, recroquevillée et voilée par une espèce de drap gris avec lequel elle se couvrait du froid. Un poignard dans les entrailles m’eut fait moins mal que cette vision à ce moment là. J’eus mal au cœur et les larmes me montèrent instantanément aux yeux. J’eus mal pour elle et j’eus honte de moi. Brusquement, la vie me parut dérisoire, traîtresse et si futile.

J’avais 19 ans, j’étais pleine d’idées, d’ambitions, de vie. Je me noyais dans des soucis qui me parurent d’un coup bêtes et sans importance. L’état de cette vieille femme me bouleversa, me renversa. Je ne pus faire demi tour, je n’osai même pas lui parler ou lui donner une pièce. Ce que je sentis me hanta toute la journée à l’époque. Cela me hante encore puisque je l’écris sans en avoir oublié le poignant et l'émotion.

 C’est horrible, pensai-je, d’être vieille et démunie et d’être dans la rue quand notre place est dans la chaleur d’un foyer familial.

Publié dans Autofiction

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